Allée Centrale

Bianca était sortie dans le jardin. Le soleil faisait scintiller la neige qui couvrait la nature endormie par l'hiver.

Elle était habillée d'une robe aux tons rosés et aux motifs fleuris, qui mettaient en valeur la beauté et la jeunesse de son visage d'ange. Elle avait passé des gants blancs qui lui montaient jusqu'aux coudes et avait posé sur ses épaules une cape presque blanche, ornée de fourrure sur les ourlets. La capuche était relevée et cachait une partie de son visage.

La jeune femme fit quelques pas dans la poudre blanche. Comme il était bon de sortir. La fraîcheur de l'après-midi contrastait avec l'atmosphère lourde qui régnait dans la demeure des Adorasti.

Depuis qu'elle était arrivée à Venise, elle s'était sentie comme une étrangère. Non. En fait, elle s'était sentie étrangère depuis son mariage. On lui avait tout enlevé. Ses repères, sa ville, sa famille.
Elle n'avait aucune attache dans cette cité.

Elle enleva sa capuche. Quelques mèches de ses cheveux blonds s'étaient échappées de sa coiffure. La jeune femme avança près d'un banc et d'un revers de main, enleva toute la neige qui s'y était déposé durant la nuit puis elle s’assit...

[Appartements du prince Elio]

Lorenzo descendit en courant avec légèreté les marches qui menaient aux jardins. Malgré le soleil éblouissant, le froid changeait son souffle en petits nuages blancs. Il mit sa main en visière, protégeant ses yeux clairs de la lumière renvoyée par la neige et promena son regard sur le parc.

Il lui avait semblé apercevoir la princesse dans les jardins depuis la fenêtre du couloir du deuxième étage. Elle était effectivement là, nuance rose et blonde dans la neige immaculée et il se dirigea vers elle d'un pas rapide.

C'était une jeune femme d'une beauté incomparable et Lorenzo eut une pensée de compassion. N'importe quel homme l'aurait choyée comme le plus précieux des bijoux mais le destin lui avait donné un époux qui n'avait que mépris pour elle.

Lorenzo était arrivé prés de la princesse Bianca et il s'inclina avec respect devant cet ange des neiges.

"Que sa Seigneurie m'excuse de la déranger mais je suis porteur d'un message urgent du prince Elio."

La jeune femme était plongée dans ses pensées et ne vit pas le majordome arriver.
Ce fut le son de sa voix qui la tira de ses rêveries...

"Ah... Lorenzo, Vous m'avez fait peur. Quel message... ?"

La princesse regarda le jeune homme avec attention. Elle ne savait pas grand chose sur son compte mis à part qu'il était entièrement dévoué au Prince. Il parlait toujours d'une voix calme et avait un caractère toujours égal. On ne pouvait pas deviner ce qu'il pensait ou son humeur...

C'est d'ailleurs ce qui effrayait Bianca. Tout lui faisait peur ici. Cette ville lui faisait peur, cette demeure lui faisait peur, son époux lui faisait peur... Même les domestiques lui faisaient peur...

Un sourire vint flotter sur les lèvres du majordome. La princesse Anna avait une fois de plus cet air triste qu'il lui connaissait depuis leur première rencontre et il se prit à se demander ce qui pourrait lui redonner la joie de vivre propre à son rang et à son âge.

"Le prince Elio a décidé de convier une partie de ses connaissances à un concert ce soir au palais. Il vous demande de me faire part de la liste de vos invités pour que je fasse porter les invitations au plus tôt."

Lorenzo n'en dit pas plus, attendant de voir la réaction de la jeune femme. Il réprima un frisson lorsqu'une bourrasque de vent souleva un pan de sa veste et fit voleter ses longs cheveux retenus par un ruban.

La jeune femme ouvrit les yeux de surprise en entendant la requête du Prince.

"Un concert... Ce soir ?"

Le vent commençait à se lever et le froid se faisait mordant. La Princesse ne put s'empêcher de remarquer que le majordome frissonnait. Elle en eut pitié. Elle se leva du banc. Elle lui sourit.

"Venez, ne restons pas là, vous allez prendre mal. Et mon époux me mépriserait encore plus qu'il ne me méprise maintenant, d'avoir fait tomber malade, son serviteur favori... Rentrons..."

Une fois à l'intérieur de la demeure, la jeune femme secoua les quelques flocons qui s'étaient déposés sur sa cape et retira ses gants, dévoilant ses mains fines et douces.

"Pensez-vous qu'il sera possible d'inviter mon frère. Je crains que mon époux le refuse. Un Grazziano, c'est déjà beaucoup... alors deux !"

La jeune femme se força à sourir. Mais un sourire, avec un regard mélancolique, n'etait pas très convaincant.

[Le Grand Hall]

La princesse elle aussi avait été prise au dépourvu par la décision si soudaine du prince Elio. Tout en attendant la réponse qu'il était venu chercher, Lorenzo commençait de faire mentalement la liste de toutes les choses qu'il devrait organiser pour que tout soit prêt pour le soir. Même en réquisitionnant tous les domestiques cela lui semblait un véritable tour de force. Sans compter qu'il devait sortir pour cette course dont le Prince l'avait chargé.

Il ferma les yeux une seconde. Le Prince avait toujours été quelqu'un d'impulsif et ça n'était pas la premiere fois qu'il mettait Lorenzo dans une situation délicate. Le majordome s'en était toujours tiré. Il adressa une prière à Dieu pour que ce fut encore le cas cette fois-ci.

La princesse Bianca s'était levée et se dirigeait vers le château. Le majordome la suivit, marchant quelques pas derrière elle selon les règles de la bienséance.

"Je remercie sa Seigneurie pour sa bonté mais je puis supporter le froid si cela peut servir à son plaisir."

Le serviteur favori du Prince ? Meme s'il doutait que le Prince ait une telle estime pour lui, ce compliment lui fit chaud au coeur. Le prince Elio avait sûrement bien d'autres gens en son estime que son majordome.

Il gravit les escaliers puis entra à son tour dans le grand hall. Elle s'était arrêtée et avait retiré ses gants qu'elle tenait maintenant dans sa main gauche.

Lorsqu'elle parla d'inviter son frère et lui demanda conseil à ce sujet, Lorenzo garda un ton doux et répondit sincèrement.

"Monseigneur n'a émis aucun souhait, ni établi aucune restriction quant aux invités que vous souhaiteriez recevoir. Je ne puis malheureusement pas conseiller sa Seigneurie dans son choix car cela n'est pas de mon ressort."

[Le Grand Hall]