Les Fauteuils Face à l'Estrade

..

[Salle à Manger]

Le pas léger et légèrement dansant, Bianca entra dans la Salle de Bal et s'extasia sur la décoration.

"Mais que c'est joli !" Elle s'approcha d'un oranger et caressa du doigt le fruit qui y était suspendu par un ruban de satin.

"Absolument magnifique ! Vous ne trouvez pas ?" demanda-t-elle à un des musiciens qui s'affairait à accorder son instrument. Celui-ci acquiéça vivement sans plus de commentaire, simplement pour être d'accord avec la princesse sans pour autant vraiment donner son avis.

"On se croirait au printemps !" dit-elle en tournoyant, un grand sourire aux lèvres. S'immobilisant, elle regarda autour d'elle, les poings sur les hanches.

"Suis-je la première ? Mais qu'attendent les autres pour venir ?" Elle soupira, trouvant l'attente trop longue et tenta de négocier avec un musicien pour qu'il commence à lui jouer un morceau.

[Suite de Basileo Orio Valcarenghi]

L'élégante silhouette de Valcarenghi se dessina dans l'encadrement de la porte, sous laquelle il marqua une petite halte. La vue des rangées de fauteuils vides avait eut pour effet de freiner quelque peu les ardeurs du Gentilhomme. Il hésita un instant, puis finalement, reprit sa marche pour s'aventurer dans la salle.

Il avait, bien sûr, immédiatement remarqué la douce présence féminine (ce qui, disons-le clairement, l'avait convaincu d'entrer). En s'avançant lentement vers l'estrade, et tout en faisant mine d'admirer les efforts de décoration, Basileo jeta quelques discrètes oeillades sur la donzelle, qu'il ne connaissait point. Elle présentait bien, et n'était pas des plus vilaines, bien au contraire. Voilà qui avait de quoi redonner le sourire à Valcarenghi, qui arriva à hauteur des musiciens.

"Et bien Messieurs, l'affluence n'est, pour le moment, guère au rendez-vous... Rassurez-moi, le divertissement est toujours d'actualité?"

Après qu'un musicien ait adressé un petit "Bien sûr Monsieur" à Basileo, ce dernier se tourna vers la demoiselle, avec un air rassuré.

"Remarquez, il est toujours plus poli d'arriver quelques minutes en avance, plutôt que de faire son entrée durant la représentation. Et puis, c'est apparemment l'occasion de faire d'agréables rencontres."

Valcarenghi plongea son regard dans celui de son interlocutrice, puis rapidement un large sourire se dessina sur ses lèvres. Il lui adressa alors une élégante révérence.

"Basileo Orio Valcarenghi, un vieil ami du Prince Elio."

Très affairée à écouter le violoniste qui avait bien voulu lui jouer une petit morceau pour la faire patienter, Bianca n'avait pas entendu qu'un homme venait d'entrer. C'est seulement quand il parla que la princesse se retourna vers lui avec un sourire radieux. Le musicien, soulagé, reprit donc son instrument pour l'accorder de nouveau.

"Bien sûr qu'il est encore d'actualité voyons ! Il ne manquerait plus que ça... depuis que je l'attendais, je serais fort malheureuse qu'il soit annulé." dit-elle en s'approchant de Valcarenghi.

Répondant à son salut par une révérence digne de ce nom, Bianca répondit, l'air toujours aussi ravie.

"Je suis très heureuse de faire votre connaissance monsieur. Un ami du Prince Elio dites-vous ? Et bien moi je suis... son épouse !"

Le visage souriant de Vancarenghi se couvrit d'une expression béate. Sa surprise, lorsque son interlocutrice exposa son statut, n'était apparemment pas feinte.

"Oh... Je suis confus de ne point vous avoir reconnue. Car même si nos chemins ne se s'étaient, jusqu'à présent jamais, croisés, j'aurais dû comprendre qu'une femme aussi rayonnante et bien apprêtée ne pouvait être que Princesse..."

Le Gentilhomme accompagna ses compliments d'une nouvelle courbette. Il avait toujours su y faire avec les femmes. Quelques compliments, de larges sourires, et son physique plutôt agréable faisait le reste.

"J'ai ouïe dire, Princesse, que votre arrivée en ce palais, qui fait l'admiration de tout Venise, était toute récente? Je suppose cependant que ce luxe indéniable ne suffit pas à garantir une acclimatation aisée... Avez-vous retrouvé vos habitudes?"

Le Gentilhomme avait l'air surpris et Bianca craignit d'avoir dit une bêtise. Alors que Basileo s'excusait de ne pas l'avoir reconnue, la princesse avait les yeux levés vers le plafond en réfléchissant jusqu'à ce que lui vienne enfin l'idée du détail qui avait manqué à cette rencontre : un baisemain. Sans prévenir, elle lui colla le dos de sa main sous le nez avec un grand sourire.

"Je suis très heureuse de faire votre connaissance monsieur... oh, je crois que je l'ai déjà dit.. mais qu'importe !" reprit-elle. "Mieux vaut deux fois qu'une."

La princesse était visiblement ravie des compliments de Valcarenghi ou bien peut-être de son physique agréable ou encore de ses sourires, difficile à dire. Dans tous les cas, elle était ravie.

"Toute récente... oui et non, cela fait quand même à peu près un an que nous sommes installés ici. J'ai donc eu le temps de m'habituer à ce climat.. humide... mais teeeellement charmant !" ajouta-t-elle les yeux brillants avant d'ajouter d'un air mutin.

"C'est vrai ? Le palais fait l'admiration de tout Venise ?"

Le sourire ne quittait plus les lèvres du Gentilhomme, visiblement lui aussi ravi par ce face à face. Il avait d'abord admiré l'indiscutable beauté plastique de la princesse, mais il commençait aussi à découvrir une femme chaleureuse et engageante.

Lorsque la maîtresse des lieux présenta sa main à Valcarenghi, ce dernier laissa échapper un petit rire, certainement surpris par la spontanéité du geste, puis il s'exécuta de bonne grâce. Pliant le genou droit, il déposa un respectueux baiser sur le revers de la main de Bianca Grazziano Adorasti. Il se redressa.

"Ces derniers temps, je n'ai guère été coutumier des soirées mondaines, aussi je vous prie de bien vouloir excuser mes nombreuses maladresses.

Il y a quelques jours encore, j'étais perdu au milieu de l'Atlantique où, je dois avouer, les bonnes manières sont quelque peu remisées au placard. En fait, et pour ne rien vous cacher, je ne suis arrivé à Venise que ce matin, après un voyage en malle de poste depuis Bordeaux."

Valcarenghi passa alors une main dans son épaisse chevelure, en marquant une pause dans son récit. Il soupira légèrement, comme pour jouer les blasés.
Puis il changea de sujet, pour laisser planer un peu de mystère quant à ses occupations et le pourquoi de ses voyages transatlantiques.

"Pour en revenir à votre palais. Sachez que je fais rénover un hôtel particulier dans le Quartier de Saint-Marc. Les travaux sont tels que je me suis vu contraint d'accepter l'aimable hospitalité de Monsieur votre époux.
Bref, pour la réalisation des dits travaux, j'ai fait appel à un architecte de mes amis, Ottavio Zandonà, que vous devez connaître. Et bien, veuillez me croire, il ne cesse de citer votre demeure en exemple. Un chef d'oeuvre m'a-t-il confié, pas plus tard que cette après-midi... D'ailleurs, nous aurons le même escalier dans le hall. D'après Zandonà, vous avez le plus beau de la lagune, et comme j'aspire également à avoir ce qu'il y a de mieux..."

Impossible à dire lequel des deux souriait le plus, Bianca ou Basileo. La Princesse pencha la tête de côté alors qu'il déposait ses lèvres sur le dos de sa main. Le regardant se redresser, elle l'écouta parler de ses derniers voyages, ce qui piqua sa curiosité.

"Vous êtes tout excusé ! Les voyages sont extraordinaires ! Que faisiez-vous sur l'Atlantique ? Bordeaux ? C'est en France je crois ? Est-ce une belle ville ? J'aimerais tant aller en France, c'est si romantique ! Et les Françaises ont de très jolies toilettes !"

Si Basileo voulait laisser planer un peu de mystère sur sa personne, Bianca ne semblait pas l'entendre ainsi et attendait des réponses à ses questions avec avidité.

"Saint-Marc est un très beau Quartier. Ottavio Zandonà ? Non je ne le connais pas. Vous savez... quand je suis arrivée il y a un an, le palais était déjà construit et puis l'architecture... je suis une femme, je ne m'occupe pas trop de ça. Quant à l'escalier, il a plus de 200 ans, je doute fort qu'un tel marbre soit encore possible à trouver de nos jours."

Malgré son excentricité, ses réponses étaient intelligentes et sensées. Elle inclina légèrement la tête et ajouta.

"Mais je vous souhaite bonne chance pour l'aménagement de votre maison."

Même si Basileo était fier de ce qu'il faisait, force est d'avouer qu'il n'aimait guère en parler. La nature même de ses activités avait en effet tendance à attirer les inimitiés. Et il n'aurait pas voulu qu'il en soit ainsi avec la Princesse.

"Et bien, je suis à la tête d'une importante compagnie marchande qui affrète des navires depuis Bordeaux ou Nantes pour rallier le Nouveau Monde, via le Golfe de Guinée.

Durant les mois précédents, je me suis rendu dans les Antilles Françaises afin de négocier de nouveaux contrats. Voilà qui explique donc ma traversée de l'Océan."

Inutile de s'étendre un peu plus pour l'instant. Basileo préférera parler de l'Architecture Bordelaise plutôt que du taux de mortalité qui sévissait dans les cales de ses navires...

"Quant à Bordeaux, cela devient une ville magnifique. Grâce à l'énorme activité portuaire, l'argent coule à flot sur la capitale girondine. Ils ont d'ailleurs lancés de grands travaux d'aménagement et d'embellissement, et croyez-moi, au rythme où vont les choses, les Bordelais pourraient bientôt ne plus rien avoir à envier aux Parisiens.

Mais bon, rassurez-vous Princesse, notre Venise reste, et de loin, la plus belle cité du monde... Et franchement, si la mode vénitienne accuse quelques retards, je puis vous assurer que les femmes de la lagune n'ont quant à elles, nulles raisons de nourrir un quelconque complexe. Elles demeurent les plus séduisantes.

Si j'osais, je vous affirmerais que vous illustrez à merveille mes propos. Mais cela pourrait paraître déplacé..."

Valcarenghi ponctua sa tirade d'un malicieux sourire. Puis il jeta un rapide coup d'oeil en direction du couloir, visiblement les invités se faisaient attendre, ce qui le réjouit profondément. Côtoyer la Princesse ne pouvait être que plus intéressant que d'écouter des musiciens rabâcher des airs éculés.

Un sourire radieux toujours accroché à ses lèvres, Bianca buvait les paroles du Gentilhomme.

"Le Nouveau Monde !" s'exclama-t-elle les yeux brillants d'intérêt. "Mais c'est si loin... ça doit être un pays merveilleux ! Hoo le Golfe de Guinée... et les Antilles.. je ne suis pas sûre de savoir où tout cela se trouve." ajouta-t-elle, un doigt sur ses lèvres avant de regarder à nouveau Basileo. "Je vous admire, Monsieur !"

Bianca ne chercha pas à en savoir plus, il était navigateur marchand, ça lui suffisait, et il avait vu des choses extraordinaires. Elle écouta sa description de Bordeaux avec autant d'avidité que précédemment puis prit soudain un léger air mi-boudeur, mi-nostalgique.

"Je préférais Naples..." Puis se redressant soudain et retrouvant son sourire elle ajouta. "Mais Venise est magnifique oui oui, magnifique."

Elle rosit légèrement au compliment de Basileo mais n'eut pas le temps de répondre quoi que ce soit qu'une petite bonne l'air visiblement très contrarié entrait à pas précipités dans la salle. Elle s'approcha de la princesse lui annonça qu'un homme souhaitait la voir et que c'était très urgent.

Bianca regarda à nouveau le gentilhomme et lui sourit. "Je vous prie de m'excuser, je reviens vite. Je ne veux surtout pas manquer la soirée."

Elle sortit de la pièce, suivant la jeune fille.

[Couloir desservant les appartements privés]

"Mais je vous en prie, Princesse."

Basileo accompagna le départ de la Princesse par une petite courbette. Ainsi, il se retrouvait seul au milieu des musiciens. Il prit le parti de s'asseoir sur un fauteuil bien placé, et de ne pas aller se mêler plus que cela aux instrumentistes.

Bras croisés, regard perdu sur une toile ornant l'un des murs, Basileo était proche de la somnolence...

[Embarcadère]

Gabriella avait mené Bertuccio jusqu'à la salle de bal. Elle fut surprise de voir Basileo tout seul alors qu'elle savait que la princesse était avec lui quelques minutes plus tôt. Où était-elle encore passée celle-là ? Elle fit signe à Bertuccio d'entrer et, voyant le gentilhomme légèrement somnolent, parla d'une voix forte et claire rien que pour le plaisir de le réveiller en sursaut.

"Vous avez de la chance, Monsieur ! Monsieur Valcarenghi a déjà pris place ! Je vous souhaite une bonne soirée !"

Elle s'inclina et fit mine d'arranger la décoration sur un des citronniers qui se trouvait près de la porte.

[Embarcadère]

Bertuccio pénétra dans la salle à la suite de la jeune servante. Valcarenghi était déjà prêt à commencer la soirée, mais il paraissait être le seul, pour le moment ! La grande salle de bal était vide de toute présence, et chaque parole résonnait dans cet espace disproportionné.

Avec la foule des invités qui remplirait bientôt l'espace, l'acoustique serait certainement excellente pour les musiciens. Musiciens qui, pour l'instant, n'étaient guère actifs. Un violoniste classait mollement ses partitions tandis qu'un de ses collègues accordait sans conviction son instrument. Un autre frottait distraitement son archet sur les cordes de son violoncelle, en tirant un son plaintif. La somnolence était générale, à en juger par la mine de Valcarenghi...

Bertuccio s'avança vers lui. Il sentait derrière lui la présence discrète, mais attentive, de Gabriella.

"Je vois que nous sommes les seuls invités ponctuels ! Mais, poursuivit-il en souriant, vous me voyez navré d'interrompre votre rêverie..."

Les vociférations de la servante ne firent certes pas sursauter Valcarenghi, mais elles le surprirent quelque peu. Il tourna rapidement la tête vers la porte, sourcils froncés, afin d'octroyer à la petite un regard hautement méprisant.
Puis Basileo décida d'ignorer la petite effrontée, pour se consacrer à Farieli.

"Et bien, Monsieur Farieli, c'est plus un ennui profond qu'une rêverie que vous interrompez, aussi, je vous en suis gré !"

Valcarenghi se leva afin d'accueillir l'aventurier comme il se devait. Il lui adressa une franche poignée de main.

"Je suis heureux que vous ayez pû venir. Et je crois que nous avons de la matière pour mettre à profit notre relative avance. Voilà longtemps que nous ne nous étions point vu. Dites-moi donc ce qui vous mène à Venise?"

Gabriella regarda Bertuccio du coin de l'oeil, essayant de percevoir dans son espression de visage si la décoration lui plaisait. Malheureusement, il avait plus l'air absorbé par les musiciens que par la rangée d'arbres fruitiers qu'elle avait fait placer le long des murs.

Comme Valcarenghi avait décidé de l'ignorer, ce qui était une très bonne chose et que la discussion entre les deux hommes ne présageait rien de bien intéressant, sans compter que rester plus longtemps à arranger un ruban de satin aurait été ridicule, Gabriella laissa le citronnier et sortit de la salle de bal.

[L'office]

"Rien de bien précis !" dit Bertuccio en réponse à la question de Basileo. "On m'a toujours vanté les beautés de la Sérénissime. Je suis venu voir sur place et vérifier si la rivale de Gênes méritait sa réputation ! Et pour l'instant, le peu que j'en ai vu le prouve..."

Il n'était pas encore passé par la basilique dont on lui avait toujours fait l'éloge. On disait que les murs et les sols étaient recouverts d'une telle profusion d'or que l'on en était ébloui ! Voilà qui méritait qu'on aille vérifier sur place...

Mais Venise, comme la plupart des villes du nord lui donnaient la curieuse impression de ne vivre qu'à demi, de sommeiller légèrement, par comparaison avec Rome ou Naples. Dans ces villes-là, la vie bouillonnait, tout était plus coloré, plus vif, plus franc.

"Mais vous-même, que venez-vous donc cherchez à Venise ? laissez-moi deviner...les affaires ?"

En entendant Farieli affirmer que sa présence à Venise n'avait qu'un but touristique et culturel, Basileo ne pû retenir un petit rire.

"Vous faites en effet un touriste des plus crédibles Monsieur Farieli... Je vous aurais bien prodigué quelques conseils ou indiqué de bonnes adresses, mais je doute que cela vous intéresse vraiment..."

Valcarenghi adressa une amicale tape dans le dos de son interlocuteur.

"Allez, je vous taquine... Pour ce qui est de ma présence dans la lagune, vous avez vu juste. Je ne suis fidèle qu'à une seule maîtresse, ma bourse...

Mais prenons place sur ces fauteuils, voulez-vous?"

Joignant le geste à la parole, Basileo s'asseya dans un des fauteuils du premier rang.

Bertuccio s'assit aux côtés de Basileo.

"Les voyages d'agrément ont leurs charmes, vous devriez essayer ! Mais il est vrai que je ne suis pas uniquement là pour me cultiver. Ma bourse vide est un facteur plus que motivant..."

Bertuccio ne prenait pas de gants pour dévoiler sa situation financière, alors qu'on ne parlait d'habitude d'argent qu'à demi-mot. Mais il n'avait rien à cacher de ce côté, et il avait un peu forcé le trait. Il n'avait pas encore totalement épuisé les gains des derniers mois. Parler ainsi était aussi un choix tactique. Il fallait bien faire savoir que ses services étaient à louer ! Et même s'il ne visait pas le service de Basileo, l'homme pourrait certainement lui ouvrir des portes...

"Vous faites construire, n'est-ce pas ? Deviendriez-vous sédentaire ?" plaisanta Bertuccio. "Mais peut-être il y a t-il une femme derrière tout ça..."

La remarque était bien sûr humoristique. Valcarengi établi ? Quelle idée saugrenue !

Tout en frottant négligeamment la manche de sa veste, du revers de la main, Valcarenghi souriait.

"Ni femme, ni même aucun désir de m'établir durablement quelque part, rassurez-vous. La pierre est, dit-on, un investissement des plus intéressants... Encore une fois, je ne nourris que mon immense cupidité..."

Basileo croisa les jambes et s'avachit quelque peu dans son fauteuil. Visiblement l'attente commençait à lui peser.

"Mais Diantre, que font donc ces invités? Je suis vraiment confus de vous avoir convié aussi tôt... J'ai dû mal comprendre... Certainement cette garce de domestique, que vous avez vu tout à l'heure. Elle ne cesse de me tourmenter, et j'éxagère à peine...

Il est décidément bien difficile de trouver serviteur digne d'intérêt aujourd'hui... Vraiment."

Bertuccio trouvait lui aussi étonnant qu'il n'y ait pas plus de monde. D'habitude, lors des grandes réceptions, les gens se pressaient en foule pour saluer les maîtres de maison. D'ailleurs, ces derniers n'étaient pas là.

"La jeune femme qui m'a ouvert ? Vraiment ?"

Que Valcarenghi se laisse "tourmenter" par une aussi frêle jeune fille, voilà qui ne manquait pas d'humour ! Bertuccio eut un sourire amusé.

"Et que vous a-t-elle donc fait ? Mais les domestiques des grandes maisons sont souvent plus impertinents que les autres, parce qu'ils sont au service d'un haut personnage, ou parce que leur maître lui-même est complaisant..."

Les valets qui servaient les hauts dignitaires étaient souvent d'une insolence rare, c'était un fait avéré. La plupart, issus du bas peuple, étaient tout simplement fier de leur livrée qu'ils croyaient les ennoblir !

"A propos, qui est donc le maître de maison ? Ce nom de Lacryma Adorasti me dit quelque chose, on a déjà dû m'en parler, mais cela ne me revient pas..."

[Salle à Manger]

Lonza pénétra dans la salle.
Décidemment, tout était magnifiquement décoré, jusque dans le moindre détail.
L’astrologue ajusta son habit ; il s’agissait d’être à la hauteur de l’événement, une belle fête s’annonçait.

Il porta son attention sur les deux hommes assis sur les fauteuils situés face à l’estrade.
Les autres invités se faisaient attendre et il aurait été fort impoli de ne pas aller se présenter à eux avant de prendre place.

Dante s’avança avec discrétion jusqu’à eux et s’inclina en les observant tour à tour.
Le premier devait être un gentilhomme, le second peut être un militaire.

"Messieurs, permettez moi de me présenter. Je suis Dante Lonza.
Je suis très honoré et ravi de vous rencontrer."

Visiblement, Farieli et Valcarenghi avaient la même opinion du personnel de grandes maisons.

"Impertinent, et extrêmement négligeants... Ils se sentent intouchables, ils ont atteint l'apogée de leur pitoyable carrière... Ils ne peuvent aller plus haut, alors, les chevilles enflent. Ils se prennent pour ce qu'ils ne sont pas. C'est lamentable..."

Basileo hocha la tête, puis des bruits de pas attira son attention. Un nouvel invité fît son entrée dans la salle. Il vint, avec force de politesse, se présenter. Valcarenghi se leva donc, et inclina la tête.

"Enchanté également Monsieur. Basileo Orio Valcarenghi..."

Le jeune Jésuite avait fini de réconforter la petite bonne qui craignait pour son enfant. Il avait également écouté les malheurs et les doléances de chacun des domestiques qui s'étaient trouvés à l'Office à ce moment là et chercher les paroles apaisantes pour chacun.

C'est donc un peu fatigué et rêveur qu'il se laissa entrer dans la salle, conduit par le mouvement général. Les gens ne se bousculaient pas encore à la porte, mais ils entraient résolument, de plus en plus nombreux.

Giacinto avançait dans la salle, en se disant que l'idéal serait qu'il sorte de cette soirée en connaissant le nom, le prénom, le nombre d'enfant et tout ce genre de détail qui faisait la particularité de chacun, par cœur. Mais en même temps, son esprit n'était pas des plus vif en ce moment.

Il glissait dans la salle, perdu dans ses pensées sans profondeurs et sans consistances, dans ses espèces de réflexions qui effleurent à peine la conscience pour retomber immédiatement dans le rêve.
Peut-être que cette rêverie éveillée le rendait moins visible aux yeux des autres occupant de la salle.
Un homme, sans doute heureux d'apercevoir une connaissance dans les quelques personnes présentes qui aillaient bientôt former une foule, avait ouvert grand les bras en poussant un "Mon Ami !" sonore.
Malheureusement, c'est le Padre Chiaramonti qui se trouvait sur la trajectoire du bras qui fut brusquement déporté sur le côté et heurta le dos de Bertuccio Farieli.

Giacinto, en tant que bon prêtre ne s'occupa de l'offensant, mais de l'offensé. Il se tourna immédiatement vers Farieli.

"Excusez-moi, Monsieur, pardonnez... Je suis désolé, je ne vous ai pas fait mal ?"

(le tour de post pour ce sujet est : Bertuccio, Dante, Basileo, Padre - Personne ne s'ajoute ici, voir les consignes spéciales divertissement musical)

Les invités entraient de plus en plus nombreux dans la salle. De plus en plus bruyants aussi, car la grande salle résonnait à présent de conversations plus ou moins discrètes.

Bertuccio acquieça distraitement aux propos de Basileo. Dans le fond, il était bien d'accord avec lui. Mais un nouvel arrivant venait de faire son apparition et l'aventurier se leva de son fauteuil pour l'accueillir.

"Ravi de vous rencontrer Monsieur Lonza."

Il allait ajouter quelques mots pour entamer la conversation lorsqu'il sentit une poussée dans son dos. Le dommage était léger, et avec le monde qui affluait dans la salle de bal, parfaitement excusable. Si l'homme qui l'avait bousculé de s'était pas excusé, Bertuccio ne se serait même pas retourné.

"Ce n'est rien, je vous en prie. Non, ne vous inquiètez pas, j'en ai vu bien d'autres !"

Et il sourit, se demandant comment le jeune et frêle prêtre aurait bien pu lui faire mal. Mais il avisa soudain l'habit de Giacinto, qu'il n'avait pas remarqué. Son visage se ferma lorsqu'il comprit que l'homme qui lui faisait face était prêtre.

Dante allait se présenter au jésuite lorsqu’il remarqua la présence du Prince au seuil de la salle de bal

Il attira discrètement l'attention des trois convives.
"Messieurs, voici notre hôte."

Elio faisait son entrée, accompagné de sa délicieuse épouse et d’un gentilhomme qu’il ne reconnut pas. Une aimable discussion semblait animer ce remarquable trio, mais l’astrologue perçut cependant une vague tension entre les deux hommes.

La familiarité des gestes de la princesse Bianca envers le jeune inconnu l’intriguait. Il devait sans nul doute s’agir là d’un proche membre de sa famille.

Sans cesser de les observer, Lonza recula de quelques pas pour laisser au maître des lieux et sa suite l’accès aux places de choix.