La Chambre de Raffaele

...

[Couloir desservant les appartements privés]

La porte refermée et la dernière phrase lancée, Raffaele se tint un instant immobile pres du seuil. Il sourit en entendant le bonsoir donné bas par son frère. Non, vraiment il ne changeait pas et le regard gris si clair, qui l'avait à nouveau jugé un enfant, lui avait comme chaque fois mis un coup au coeur. Cela non plus ne changeait pas, ne s'attenuait pas malgré la séparation.

Il secoua la tête, faisant voler ses méches blondes nouée en catogan, qui se défit comme de bien entendu, laissant le ruban de satin noir couler sur le sol. Il s'accroupit et le ramassa tout en détaillant l'aménagement de la chambre. Beaucoup plus correct qu'il ne l'avait laissé entendre. Certes, la décoration datait un peu et sur le coté du mur là dans ce coin la soie était un rien décolorée par l'humidité.
Il haussa les épaules, il s'était attendu à pire, à mieux, à autre chose en fait. Cette ville d'eau. Etrange cité de brume, qui s'était à peine laissée entrevoir au fil de l'eau. Cela l'avait surpris et intrigué. Comment était-ce en plein jour ? Les canaux avalaient-ils la brume, ou fallait-il tout l'hiver que les vénitiens évoluent comme fantômes dans un monde voilé ? Il n'avait même pas pu distinguer la facade du palais. Tout à fait comme dans ce cauchemard récurrent où il avançait dans le brouillard en tentant d'échapper à des griffes inconnues et meurtrières.

Il fronça le nez. Que ce ne soit pas prémonitoire.

Laissant là ces considérations géographico-oniriques, il se dévêtit et fit une toilette sommaire qui chassa la poussière du voyage et le libéra d'une grande part de fatigue. Il brossa longuement sa chevelure devant la cheminée. Combien de moqueries depuis l'enfance ce geste lui avait-il values. *Tu es pire que la plus coquette de tes cousines !* Et la menace paternelle et quotidienne de faire couper *tout cela* repoussée par la tendresse de sa mère qui aimait plus que tout brosser et lisser les cheveux de son cadet.
Un sourire en coin fit pétiller ses yeux. Il était libre à présent, bien loin de l'autorité du Prince di Grazziano. Autorité qui n'avait jamais, si l'on voulait être honnête, eu grande prise sur lui. Comment allait réagir Ugo à ce frère qu'il connaissait si peu ? Allait-il lui aussi tenter de le 'mater' ? Userait-il de force ou de douceur ? Peu importait, le dit-frère était bien loin de vouloir céder à l'une comme à l'autre.

Le lit qui avait été soigneusement bassiné ne gardait presque plus de chaleur malgré les édredons de plume et Raffaele s'y glissa avec une grimace.
Il moucha la bougie et se tint immobile à épier les bruits de la nuit.
Puis, se tournant sur le coté, déjà ensommeillé, il fit part de son mécontentement d'une voix qu'il espéra forte, juste avant de sombrer.

"Et par le Cul du Diable, j'ai froid dans votre palais de misère, Ugo !"

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